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La littérature du sous-sol
11 septembre 2010

On ne se méfiera jamais assez de la littérature

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     Parfois, il se produit des choses étranges, même sur un plateau de télévision du service public. C'était hier au crépuscule, dans La Semaine critique, animée par FOG, émission toute nouvelle qui ressemble diablement à d'anciennes, mais peu importe, le spectateur a besoin de repères. Là, on est dans le concept actualité culturelle polémique, la polémique primant quelque peu sur le culturel comme on s'en doute, avec à chaque fois trois invités notables dont au moins un très énervant et deux autres qui ont toutes les raisons de s'en prendre violemment au premier + quelques chroniqueurs qui affichent dès que possible leur non-neutralité. La formule a fait ses preuves. La semaine dernière la tête à claques était Alain Minc (ça n'avait pas l'air de lui déplaire, l'habitude, sans doute), et ce vendredi on passait à la vitesse supérieure avec Marine Le Pen.

     Télévisuellement parlant, tout allait bien, chacun faisait son job au mieux: Boris Cyrulnik psychanalysait le Front National en deux temps trois mouvements, Caroline Fourest mitraillait tous azimuts (son angle de prédilection restant sans surprise l'électorat intégriste), Alain Mabanckou évoquait conjointement passé colonial français et hospitalité congolaise. Marine Le Pen, au centre d'à peu près toutes les interventions, répondait avec assurance, connaissant par avance la nature des différentes attaques ou insinuations et ramenant sans grande difficulté tout sujet à des slogans familiers, sous les applaudissements de quelques sympathisants ayant spontanément souhaité être présents sur le plateau. Pour tout dire, l'anti-lepénisme s'exprimait de manière plutôt convenue, presque mécanique _ même le clown vitrioleur de service, Nicolas Bedos, ne lui infligea finalement qu'un sketch à la méchanceté feinte, une causticité non dépourvue de complicité sinon de tendresse, au nom de la fraternité des infortunés fils/filles de. En somme, Marine devait être bien contente d'être venue là, elle maîtrisait l'exercice punchy et confirmait, s'il en était besoin, qu'elle et ses idées s'intégraient de plus en plus aisément dans le paysage politico-médiatique, un paysage il est vrai de plus en plus perméable à la dé-diabolisation.

      Il y eut pourtant un moment difficile, où l'on vit la prochaine présidente du parti embarrassée, vacillante, presque perdue. Un coup qu'elle n'attendait pas, une question d'une rare violence qui la fit longuement tituber. Le bourreau? David Abiker, qui lui demanda sans détour, l'infâme, quelles étaient ses lectures, et plus salaud encore, quel était son panthéon littéraire. En privé, Marine aurait certainement su quoi dire: "mais de quoi tu parles, ducon? tu crois que j'ai que ça à foutre, lire des bouquins de fiottes?", là il fallait une réponse, vite, une réponse télévisuellement valable, de préférence une réponse qui s'inscrirait dans son image de leader new look intransigeante mais pas obtuse, populaire mais pas plébéienne, moderne mais pas moderniste. La réponse tardait à venir, reculait à coup de préambules inutiles et n'en était que plus attendue. Pour s'en sortir, elle fit mine de déceler une agression sournoise, un interrogatoire idéologique (comme si la question suivante allait être: "Et Mein Kampf, hmm? combien de fois l'avez-vous lu en famille, hmmm?"). Peine perdue: David Abiker, décidément sans pitié, certifia à plusieurs reprises qu'il ne cherchait surtout pas à la coincer, qu'il désirait savoir, vraiment, par pure curiosité _ et le pire, c'est qu'il était visiblement sincère. Il fallait donc répondre. Mais quoi? La réponse authentique risquait d'être "rien", ou alors il s'agirait de références pas bien dicibles. Les yeux bleus ironico-dominateurs virèrent au vague, entre deux considérations embrouillées des noms finirent par émerger sans conviction, Dumas, Simone Weil, quelques autres, les lectures de jeunesse, de plage et de réflexion s'entrechoquant dans une confusion un peu pénible. Bref, Marine Le Pen, obligée de passer brutalement de combattante politique à interviewée culturelle, ne parvint pas à dire quoi que ce soit d'enthousiaste ou simplement positif sur ses hypothétiques et peu nombreuses lectures préférées...

     De là à dire que David Abiker, ce sniper malgré lui, gâcha toutes sa soirée, ce serait excessif. Mais enfin on imagine que ce flottement prolongé ne fut pas très agréable à vivre, et  peu rentable d'un point de vue électoraliste. Saloperie de littérature. Même quand on ne s'y intéresse pas, on vous l'envoie à la gueule un jour ou l'autre. Parions donc que dans les semaines à venir de dynamiques conseillers en communication veilleront à fournir quelques fiches-lectures brèves et pertinentes aux principaux responsables de notre cultivée contrée.

     De notre côté, dans le sous-sol, méfiants par nature et n'aimant pas être pris au dépourvu, nous lisons régulièrement des livres, au cas où un jour nous croiserions la route sanglante de David Abiker. La preuve dans les prochaines chroniques.

    

    

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Commentaires
C
Ah oui c'est dangereux la littérature, il y a des livres qui se sont même fait brûler dans le passé pour moins que ça :)
M
Il y a deux familles d'êtres humains, qu'ils soient politiques ou pas: ceux qui aiment la littérature et les autres, ceux qui se cantonnent à la presse hebdo et à quelques best-sellers faciles à lire quand ils ont le temps (d'où le succès des "livres de plage"). Marine le Pen semble faire partie de la 2ème famille, incontestablement. Elle a fait du Droit, est devenu avocat, milite à fond pour les idées héritées de son papa, il eût été fort étonnant qu'elle ait envie de parler littérature dans un débat télévisé.<br /> Cela dit, elle a peut-être lu du Proust, Mauriac, et les oeuvres complètes de Drieu la Rochelle quand elle était jeune fille, ne soyons pas médisant a priori ^^
M
Christine: Bien vu! La réactivité de nos politiques est décidément admirable. D'ailleurs, j'entends aujourd'hui à la radio l'increvable Valérie Pécresse promettre des épreuves littéraires communes à moults concours, pour que les lettrés aient enfin accès aux sphères les plus diverses de la société. Bientôt des hordes d'humanistes dirigeront les grandes entreprises en citant Villon et Chateaubriand, parfaitement messieurs-dames, c'est Valérie qui le dit (au moment même où son ministère achève sans bruit les lettres classiques, couiiic, ça s'entend à peine, un lettre classique qui couine la tête écrabouillée). Pour revenir à notre très haut, je me souviens de sa prestation au Grand Journal, en 2007 _ à l'époque où il était urgent pour lui d'ajouter une grose dose de douceur et de sensibilité à son image. Pour ce faire, il avait lu d'une petite voix un passage supposé émouvant (de je ne sais plus quel roman), genre dialogue bourré d'affection implicite entre un enfant et sa mère; ça marchait du tonnerre, Beigbeder (alors chroniqueur) paraissait attendri par cette performance préparée avec beaucoup de sérieux, jusqu'à ce que... patatra! Nicolas trop content de son effet n'arrive plus à s'arrêter et se met à paraphraser les lignes qu'il vient de lire, bien lourdement. Adieu délicatesse, bonjour malaise. <br /> Entre ne pas en dire assez ou en faire trop, les politiques ont encore un peu de boulot :)
C
Notre très haut n'a-t-il pas cité Balzac ? (mort de Chabrol) L'heure de la fiche est arrivée :-)
M
@ tous: merci pour vos commentaires. De fait, le contraste était vraiment saisissant. La question littéraire s'invitant à la table d'une émission non-littéraire est probablement ce qui peut se faire de plus impertinent à l'heure actuelle. Les "zappings" passeront à côté, bien sûr; dommage.
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