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La littérature du sous-sol
23 avril 2010

Belles nouvelles de notre temps

                                            Mn_LOISR029                                                      

      Myriam Gallot, blogueuse et écrivain remarquable de discrétion, a écrit un recueil de nouvelles, recueil discrètement publié aux éditions Noviny 44. Qu'il soit donc dit sur ce blog discret: c'est un très beau livre, à tous les sens du terme.

     Les Coeurs suspendus regroupent 15 nouvelles où résonnent 15 voix différentes, familières, au plus près des consciences _ au point que l'on a toujours l'impression qu'un "je" nous prend la main, même quand la narration est à la troisième personne _ et ce dès la première nouvelle: un modèle de style indirect libre terriblement efficace, subtil et tendre. Histoires de solitudes, dit la quatrième de couverture, redoublant la menace du titre. Ouille, histoires de solitudes, on pourrait craindre l'énième état des lieux, le misérabilisme à chaque détour de phrase, comme tant de recueils hexagonaux savent nous en infliger. De Passer l'hiver d'Olivier Adam, déprimant tendance mélancolo à écriture sobre pour ne pas dire minimaliste, à Et que morts s'ensuivent de Marc Villemain, déprimant tendance extraordinaire à écriture ciselée, tout concourt à plomber l'ambiance. Et pourquoi pas après tout, la déprime a du bon, à petites doses. Mais les doses prescrites sont souvent exorbitantes.

     Il n'en est rien chez Myriam Gallot: des drames rôdent, l'arrière-plan n'est jamais très joyeux, l'horizon quelque peu obscur, mais la phrase est suffisamment tonique, à la fois simple et inventive, flirtant avec une oralité contrôlée, pour donner vie à des personnages plus attachants que perdus. Contrairement à tant de nouvelles où les ficelles, les trucs de l'auteur sont visibles dès la première lecture, où le récit bref montre sa mécanique trop impeccable pour être honnête, il y a dans Les Coeurs suspendus  une belle immédiateté, une immersion dans des petits mondes que l'on connaît de loin et qui s'imposent là, par petites touches probantes. Les dames de province surexcitées à la loterie, l'étudiante confrontée à l'humiliation parisienne, l'amoureux-suicidaire-malchanceux, le prof décidant de faire sauter le système en ne corrigeant pas ses copies de bac, le vendeur de roses philosophe, l'homme affreusement moyen, le jeune tueur de la route, le rural qui ne se résout pas à disparaître, le père Noël de supermarché et ses rêves,  tous, en quatre ou vingt pages, prennent vie de manière évidente.

     Cette fraîcheur d'ensemble ne doit pourtant pas faire oublier la maîtrise de toutes les formes d'écriture de la nouvelle: quinze variantes où la sacro-sainte chute est habilement amenée _ ou superbement ignorée! Véritable récit de suspense (Bingo), retournement de situation qui en réalité enfonce le clou (C'est ça la capitale, Ah les fumiers!),  lent dévoilement d'un destin connu (Plus tard), impertinent défi au lecteur invité à vérifier par lui-même l'authenticité du récit (8 décembre mon amour), discours à double sens permettant une révélation finale (Vente de charme, L'Empreinte des digitales), fin impitoyablement prévisible (Patrick Mandrin, Qui voit Ouessant): variété qui n'est pas de pure démonstration, mais à chaque fois justifiée par la voix du personnage, son angle de vue, sa trajectoire. Bien sûr, comme dans tout recueil, il y a des nouvelles moins convaincantes que d'autres, où on se retrouve en terrain à la fois trop connu et trop fantaisiste (Limousine), ou alors au dénouement un peu trop traficoté pour éviter de s'abîmer dans le gouffre du cliché tout proche (Cache-coeur). Le charme de l'écriture claire et vive joint au sérieux du propos n'en agit pas moins.      

     Ajoutons qu'une trentaine de dessins de Jean-Philippe Bretin accompagne les textes, couleur ou noir et blanc, non pas comme plates illustrations et encore moins comme décorations, mais en véritables compléments au texte,  la plupart très habilement évocateurs, abstractions tendant vers la figure ou motifs vaguement reconnaissables prêts à se perdre dans l'abstraction. Le lecteur pourra ainsi rêver longtemps sur ce qui ressemble fort à une feuille de cannabis explosive ou, plus énigmatique, un magnifique napperon plissé qui pourrait bien être une cible molle, sans oublier l'espèce de viaduc fragilement suspendu qui zigzague en fin d'ouvrage...

     Et nous obtenons un bien bel objet, un livre qui mériterait de trouver moult lecteurs prêts à passer outre toutes les discrétions du monde.

    

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Commentaires
M
Ah! fidèlissime Thaïs, que dire? Je m'éparpille, me disperse, trop de projets tuent le projet, mais à part ça, ça va on ne peut mieux :) Merci pour ton passage coucouesque.<br /> <br /> Zeno: arf! je crains que vous n'ayez pas grand-chose à vous mettre sous la dent en suivant mes billets, vu mon rythme de production actuel... Mais heureux d'avoir croisé votre route.
Z
Marco, vous avez eu la gentillesse de venir sur mon blog prodiguer vos gentils encouragements.<br /> <br /> Cela m'a permis par ricochet de découvrir le sous-sol ( puisque ni vous ni moi n'avons été invités dans le salon).<br /> <br /> Je viens y jeter un coup d'oeil empreint d'un vif intérêt.<br /> <br /> Merci à vous pour l'existence de votre blog dont, au fil de vos notes, j'espère devenir un habitué.
T
coucou mon primo-romancier préféré ou marmotte siffleuse. Il avance ton roman...enfin ou essai ou autobiographie ou..? A plus
M
Votre commentaire me touche beaucoup, Frédérique. A propos d'écritures discrètes, dans un tout autre registre, il y a "Les dernières lettres à ma mère" de Thomas Mèneret, que vous m'avez fait découvrir, et dont j'espère parler cet été.
F
Il y a plus d'un nouvelliste qui gagnerait et souhaiterait être chroniqué de cette manière. Merci Marco.
La littérature du sous-sol
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