L'art sera scientifique ou ne sera pas
Depuis le numéro désormais fameux du New Scientist paru en 2005, on connaissait l'extraordinaire étude qui, avec l'aide d'un modeste mais performant logiciel de reconnaissance des émotions sur le visage, avait définitivement percé le mystère du sourire de la Joconde. Je rappelle les chiffres dans toute leur beauté irréfutable: Mona Lisa est à 83% heureuse, à 9% écoeurée, à 6% craintive et à 2% en colère. Ce qui explique enfin ce succès unique et jamais démenti depuis cinq siècles, c'est bien sûr les 9% d'écoeurement. Cet écoeurement furtif (même pas 10%, pensez donc), c'est la petite touche de génie qui suffit à transfigurer le bonheur, la soumission et l'irritabilité, trois ingrédients somme toute ordinaires de la grâce féminine. Une légère nausée, et vous passez du charme un peu fade au sublime imparable. Génial Léonardo, fantastique logiciel.
Eh bien! Dans un numéro à paraître cet été dans le même New Scientist, on apprend qu'un logiciel de reconnaissance des humeurs créatrices vient d'être mis au point par une équipe de chercheurs chevronnés, avec une première application tout à fait prometteuse sur l'Iliade. Les chiffres, étonnants mais révélateurs, circulent déjà dans les milieux autorisés: lorsque le mystérieux aède aveugle (appelons-le Homère, Omer ou Homer, ça n'a plus guère d'importance) a composé son grand poème épique, il était animé par 48% d'enthousiasme guerrier, 37% de piété polythéiste, 11% de sentimentalisme pré-humaniste, et 4% de foutage de gueule. Quelques vieux érudits hellénistes, Jacqueline de Romilly en tête, commencent déjà à discuter les chiffres. C'était à prévoir. Pathétiques gesticulations de ces universitaires dépassés par les avancées de la science. Car en vérité il n'y a rien à discuter: les chiffres sont là, éternels et tranchants comme le génie.